Jessye Norman et mes  « chemins de l’amour »

Depuis plusieurs années, pas une semaine ne s’écoule sans que je me réfugie dans la voix de Jessye Norman. Une douceur, un réconfort, un onguent, un velours bienfaisant. Une inspiration aussi, une voix qui montre du doigt l’exigence. Son décès, en 2019, m’a plongé dans un vide immense.
D’abord annoncée en novembre 2020, finalement indisponible pour je ne sais quelle raison, l’intégrale de ses récitals vient ENFIN de paraître, trois ans après. Trois ans d’attente, durant lesquels je guettais, chaque semaine, si une nouvelle date de parution était prévue.
Ce vendredi d’octobre, je me suis donc précipité avec joie et frétillement chez le disquaire pour me procurer ce Saint Graal tant attendu.

« Great day » ! Quel plaisir, l’ouverture de ce coffret ! Découvrir les pochettes d’origine de certains disques, notamment celles des années 70, souvenirs d’une époque où les photos étaient moins hollywoodiennes et invitaient au sérieux. Prenons pour exemple le fabuleux récital de mélodies françaises (contenant l’exquis « Les chemins de l’amour » de Poulenc), oscillant entre séance de travail studieuse d’un côté, et glamour voluptueux de l’autre.


Autre très belle surprise : les DVD ! Le coffret en comporte trois. Un documentaire déjà diffusé à la télévision, mais aussi deux concerts de Noël (Notre-Dame et le Christmastide) et… ô joie immense : le récital « live at Hohenems » ! Il s’agit du premier disque de récital de Jessye que je me suis procuré, adolescent, et qui m’a tant fait rêver ! C’est par ce disque que j’ai découvert LA récitaliste : théâtrale à souhait, juste ce qu’il faut, reine sur scène. Découverte aussi des lieder de Schubert, notamment « Erlkönig », mini opéra fabuleusement tragique à multiples rôles, dont s’empare notre soprano avec maestria. Citons encore les Spirituals des rappels, et leur accueil délirant et triomphal par le public. Je suis ému de superposer les vraies images sur celles que j’avais imaginées. Très très belle surprise.


Parmi les disques, plusieurs découvertes : je ne savais pas que le spectacle « Great day in the morning » existait sur disque. De nouveau, une belle surprise.
Des découvertes et des étonnements : présences heureuses de « A Child of our time » de Tippett, et de « Erwartung » de Schoenberg. Je connais (et vénère) le second, je découvre le premier. En miroir, l’absence de « Mythodea » de Vangelis est étonnante. Encore plus étonnante, l’absence du récital Chausson « Poème de l’amour et de la mer ».

Vient le temps de l’écoute, d’abord des disques que je ne connaissais pas encore. Le son n’est pas forcément remastérisé, mais nul besoin, il est parfait, tant le soin porté à l’enregistrement était important.
Je découvre donc le récital Schubert / Mahler de 1972. Ce récital me paraît beaucoup plus intéressant que le Schubert enregistré 15 ans après. Le choix des lieder, plus audacieux ? Les deux sont simplement parfaits, mais le premier a peut-être plus de force. L’un de ses premiers enregistrements, mais déjà une maturité époustouflante.
Je redécouvre des lieder oubliés ou mal-aimés, comme ceux de Brahms. J’accrochais peu à ceux accompagnés par Barenboim, alors que le disque de 1980, accompagné par Parsons, est resplendissant.
Quel luxe d’avoir le choix entre Osawa ou Abbado pour découvrir la 3ème symphonie de Mahler ! Ou entre Levine et Sir Colin Davis pour « Das lied von der Erde » !

Les disques de Noël sont des bijoux de réflexion, de spiritualité, de douceur. Celui de Notre-Dame a son charme grandiloquent, mais de cette grandiloquence joyeuse qui respire à plein poumons la générosité du partage d’un répertoire à la fois exigent et populaire. « Christmastide » et « In the spirit » sont plus intérieurs, mais non moins chatoyants, comme un sapin décoré avec la plus grande minutie. 

Je ne commenterai pas chaque disque, cela n’aurait guère d’intérêt et je devine que lire « magnifique », « époustouflant » ou  « parfait » tous les trois mots doit être lassant. Pourtant, c’est bien ceci : ces disques réunis rappellent l’exigence du répertoire que Jessye a enregistré. Son élégance aussi, dans la transmission (époustouflante, oui !) de sa passion.
Aucune trace de faiblesse, aucune vulgarité, aucun pas de côté, aucune facilité. Une carrière au service de la musique et de la transmission, de la première note enregistrée à la dernière.

Pour finir, il est curieux (mais heureux, évidemment) qu’il ait été possible de réunir en un seul et même coffret du EMI, du Deutsche Grammophon, du Philips  et du Decca. Cela paraît tellement compliqué ou impossible pour les intégrales de certains chanteurs pop… Tant mieux, le plaisir n’en est que plus intense et complet. 
En un mot : merci aux éditeurs de ce coffret ! Et… merci Jessye !

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