La réponse du berger

Aujourd’hui, la formule marketing s’infiltre partout. De Lady Gaga à cette poignée de militants en rose et bleu. Face aux idées, face aux avancées sociétales, que trouve-t-on ?  Une pâle copie : le « mariage pour tous » trouve son avatar dans la « manif pour tous », le « printemps français » répond au « printemps arabe », les Femens trouvent leur alter ego dans les hommens.

Ainsi, toutes ces reprises finissent par ressembler à une vaste campagne de pub slogantisée à outrance. On avance masqué derrière un bon mot, à l’instar de ces courageux hommens et leurs non moins courageux masques blancs. Comme si contrer un mouvement par une parodie rendait la contestation plus forte. Le miroir, ici, déforme et rapetisse le débat idéologique. Au point de se demander par quel truchement le grotesque parvient-il à séduire autant les foules.

Je m’étonne aussi que pas grand monde (personne ?) ne s’interroge ouvertement sur le financement de toute cette chose. D’aucuns évoquent un mystérieux lobby gay, qui irait jusqu’à s’infiltrer dans les délibérations du jury du Festival de Cannes. Pour autant, les images des manifs roses et bleues laissent deviner des moyens financiers non négligeables. Ne serait-ce que les cars affrétés spécialement pour promener son petit drapeau à la capitale. Ne serait-ce que les outils déployés pour délayer sur le parvis des Eglises des idées ouvertement de mauvaise foi, et bien facilement acceptées et répétées à l’envi. Plus c’est gros, plus ça passe (bah oui, la taille, ça compte un peu quand même).

Le rutabaga a connu en son temps sa croisade propagandiste, aujourd’hui c’est le tour de « un-papa-une-maman ». Les temps changent, ma bonne dame. Après le risque allemand, le danger des pédés.

Les temps changent, en effet. Certains ont voulu imposer la Bible à l’Assemblée Nationale, comme d’autres le Coran dans les Tours Jumelles. Et certaines constatent aujourd’hui que tant de bêtise à la pelle, ça épuise :

-L’une, agacée d’être prise à partie, se retire de son mouvement en se faisant protéger aux frais du contribuable. Contribuables au nombre desquels figurent, notons-le, des homosexuels : les impôts pour tous, mais faut pas non plus pousser trop loin la question des droits et des devoirs, hein.

Si Dieu a créé le monde en à peine une semaine, il en a fallu bien moins aux chantres de la peur de l’autre pour créer cette machine marketing qui prend maintenant vie seule, sans maître à son bord. Au moins Dieu, lui, a eu le dimanche pour s’en remettre. Ce sont malheureusement des années qu’il faudra, aux porteurs de ce combat égalitaire, avant de pouvoir souffler un peu. La théorie du Jeu de la vie devient réalité.

-L’autre s’offusque d’être interrogée sur sa vie privée et ses cousinades, sous prétexte que ouhlala, c’est pénible d’être ainsi jugée.

Sans vouloir jeter la pierre, cela fait pourtant des mois que les homos sont jugés ouvertement sur leur vie privée. Pas un jour ne se passe sans que ne soient relevés tel ou tel propos infamant. Fort justement, cette question de cousinade a le mérite d’avoir fait connaître à l’interviewée, pendant deux désagréables minutes, ce que beaucoup trop d’homosexuels vivent chaque jour (sans rentrer dans le misérabilisme et voir l’homophobie partout, suffit juste de se pencher sur les chiffres du Refuge et autre). A défaut d’éclair de lucidité et d’aimer vous les uns les autres, c’est une belle réponse du berger à la bergère évanouie.

Toujours est-il qu’aujourd’hui, je jette mes plus beaux pétales de rose à ces deux premiers hommes qui ouvrent les festivités en officialisant leur union devant les ors de la République.

En espérant que tout ce tapage nauséabond cesse très très vite pour que la cérémonie retourne enfin là où elle a véritablement sa place : dans la sphère intime et, oserais-je le dire, familiale. 

Amen.

Le flou gaussien (in real life)

Je suis myope. Pas de beaucoup, hein, je n’en suis pas au stade de la canne blanche. Juste un peu. Je vois très légèrement flou et ne distingue les mots que si je suis suffisamment près. Voire carrément si j’ai le nez collé sur le papier, si le corps de la police de caractère le nécessite.

A la maison, je compte sur chéri pour lire les menus des DVD et utiliser la télécommande à bon escient. Tout comme il compte sur moi pour attraper les trucs placés en hauteur. Echange de bons procédés.

J’aime mes lunettes. Je les conserve longtemps : le temps de les apprivoiser, de vivre avec, puis de m’en lasser. Du coup, je passe du temps à trouver la bonne paire. Je ne veux pas forcément du dernier truc à la mode, mais un design travaillé que je ne verrai ni sur le premier gars venu dans le métro, ni sur M Pokora. Pour ça, je fais confiance aux modèles de mon opticien, qui ne me pousse pas à me sortir le doigt de l’étui pour hâter ma décision. Pas de plouf-plouf-ce-sera-toi-qui : ma paire sera l’élue.

Mes lunettes, je les porte essentiellement devant un écran d’ordi. Et lorsque je suis bien installé dans mon fauteuil dans une salle de spectacles. Commence alors tout un cérémonial : l’ouverture du sac, puis de l’étui, vérifier si les verres sont bien nets, en profiter au passage pour prendre un bonbon…

C’est peut-être pour ça d’ailleurs que les directeurs de théâtre ont créé la première catégorie : pour les myopes. L’oubli des lunettes, en pareil cas, est en effet embêtant. Surtout au cinéma. Notamment en cas de sous-titres : la gym des yeux pour lire les sous-titres, fixer l’écran… Le pire restant la 3D. Du coup, après tant d’efforts visuels, je n’ai qu’une envie, me jeter sur un burger dégoulinant de frites. Comme une mante religieuse qui se jette sur la tête de son plan cul pour la bouffer aussitôt le coït venu.

J’aime être conscient que le monde que je vois n’est pas le vrai monde avec des contours bien définis et des lettres lisibles à cent mètres. Cela dit, on pourrait aussi s’interroger sur la question de la part de subjectivité dans la représentation du monde (sortez vos stylos, vous avez quatre heures), mais je crains que l’on ne tombe tout de suite dans un truc longuet comme un tweet de Christine Boutin… Il est d’ailleurs rare que je porte mes lunettes dans la rue : j’adore cette sensation de « bulle » dans laquelle j’évolue.

J’aime que ce monde ne soit qu’à moi. J’aime deviner les mots sur une affiche, sur un panneau. Même si cela s’avère parfois peu pratique, notamment lors du passage du permis de conduire : ne voulant pas voir apparaître la mention « port de verres correcteurs obligatoires » sur le papier rose (je ne sais plus pourquoi), à chaque fois que l’inspecteur m’indiquait une direction, je le faisais répéter, afin d’avoir le temps de me rapprocher un peu plus du panneau et deviner s’il fallait tourner à gauche ou à droite. Au lieu de passer pour aveugle, je passais alors pour sourd. C’était drôlement mieux.

Je vis dans un perpétuel flou gaussien, IRL. « Touche pas mes lunettes, Touche pas mon regard« , chantait Barbara. Mon monde est le mien, rien qu’à moi. Ma bulle rassurante.

Bon, maintenant, c’est où que je clique pour valider mon article ?

Barbara lunettes