Sylvie Vartan à Edouard VII : une sublime mise à nue d’une héroïne wagnérienne

Ma chère Sylvie,

Vous inauguriez, en ce début de semaine, la série de récitals destinés à fêter vos soixante ans de scène. Parmi ces soixante années, ma chère Sylvie, nous en partageâmes, tous les deux, très exactement vingt-cinq puisque, la première fois que je vous ai découverte sur scène, ce fut lors de la tournée « Toutes les femmes ont un secret ». 

Prévu initialement il y a un an, reporté plusieurs fois du fait des confinements successifs, ce concert était attendu ! Je partais tout de même à reculons (c’est pas pratique, faut dire), car l’argument piano/violoncelle me laissait un peu froid et je m’ennuyais par avance, je me dois de vous le dire. Mais, dès la première chanson, vous m’avez convaincu. Vous m’avez séduit à nouveau. Vous m’avez percé au coeur, comme à chaque fois, par votre émotion palpable, votre audace de commencer cet anniversaire en mettant de côté les tubes et en mettant immédiatement en avant une nouvelle chanson de votre dernier opus.

Je pose tout de même quelques bémols sur la partition (trois, pour être précis et annoncer tout de suite la petite douche froide)… Je commence par ça, comme ça c’est fait. Mais ils sont importants pour moi. Votre sincérité est tellement perceptible que je ne peux que l’être en retour. Prenez ceci pour une marque de confiance, voire d’amitié.

Tout d’abord, le récital s’ouvre par un film documentaire. Soit. C’était très bien lors de votre Olympia en 2017. Mais pour cette fois, c’est long, beaucoup trop long. Vingt minutes. Déjà, au bout de 10 minutes, se dire qu’on n’en est qu’en 1981, qu’il reste encore quarante ans à survoler ! Mais passons, je ne vais pas faire mon pisse froid de bas étage, c’était bien sympathique tout de même de plonger avec vous dans ce tourbillon.

Bémol aussi (le deuxième, donc) : le récital piano/violoncelle annoncé se trouve élargi à une guitare, une choriste et une contrebasse (utilisée un peu comme une basse, pour le rythme, en pinçant les cordes). J’ai trouvé dommage que le concept initial n’ait pas été poussé à fond. Mais après tout, laissons de côté ces détails d’orchestre, car c’était peut-être (certainement) la clé d’une soirée réussie. 

J’ajoute un troisième bémol (le dernier, par conséquent). Peut-être le plus sévère. Le final… identique à celui de votre jubilé à Pleyel, dix ans auparavant. Un autre choix aurait pu être fait sur ce plan-là. « Quand on n’a que l’amour », c’est joli, c’est magnifique, mais le répertoire vartanien contient tant de belles chansons qui auraient pu tout aussi bien faire le job pour le final… Et que dire du dernier rappel, sur ce texte récité sur « My Way » ? Même s’il est très émouvant et très beau, même s’il me tire les larmes à chaque fois que j’écoute votre live de Pleyel, l’effet redite m’a laissé sur ma fin. Ce fut magnifique à Pleyel, ce fut réchauffé à Édouard VII. Pourquoi ne pas avoir choisi, tout simplement, de clore ce spectacle avec « Toute ma vie » ? Simple, efficace, ça emporte tout un théâtre comme un seul homme, une chanson ô combien vartanienne comme celle-ci.

Hormis ces points, finalement pas si importants (je parlais de douche froide, je reconnais avoir abusé de l’hyperbole…), tout ne fut que douceur et joie. Véritablement.

Joie de découvrir votre setlist aussi généreuse. Vraiment. Qui d’autre que vous, ma chère Sylvie, propose encore, de nos jours, des concerts de plus de deux heures avec presque trente titres ? Vous avez toujours été généreuse sur ce point, et tant mieux, pour mon plus grand plaisir. La sensation du temps qui passe s’efface si l’on sait se plonger avec gourmandise dans ce festin musical. C’est une perception très étrange, d’ailleurs : j’ose un parallèle avec ces opéras wagnériens que j’aime tant, et dont la durée interminable demande au spectateur une attention de tous les sens, qui finit par créer une sensation de plénitude exquise.

Que dire du plaisir d’entendre certaines chansons oubliées depuis longtemps, telles que « Parle-moi de ta vie », que j’adore. J’aime particulièrement les chansons épistolaires, comme « Vienne » de Barbara. J’étais aux anges.

Très belle surprise aussi que « Le dimanche », que je connaissais moins. Le concert aurait pu s’arrêter là tant votre interprétation était magistrale. Je fus bluffé. Plus que de grand Vartan, une géante, qui nous a offert, là, trois minutes de théâtralité exceptionnelle. Sylvie, ce moment suspendu fut épatant. Brel et Barbara auraient été jaloux de vous s’ils avaient été présents ce soir. Vous fûtes, en cet instant, à la fois Barbara, Greco, Piaf. Vous fûtes merveilleuse. Sublime. 

Evidemment, j’aurais aimé d’autres surprises de ce genre, piochées au gré des albums, à l’instar de « Novembre à La Rochelle ». Un peu à l’image des concerts country des Folies Bergère, où vous faisiez l’impasse sur les incontournables pour vous concentrer sur vos propres souhaits, ce qui fut particulièrement jouissif. La gourmandise appelle la gourmandise, vous nous prenez dans votre piège !

Il manquait malgré tout la meilleure chanson, selon moi, de votre dernier album : « Du côté de ma peine », qui est du très grand Vartan. Les couleurs de ce récital auraient été l’écrin parfait de cette belle chanson de La Grande Sophie (peut-être à Pleyel ? Qui sait…).

Il était doux et amusant de constater, une fois encore, que vous bouillonnez, que, derrière ce violoncelle et ce piano (et cette guitare !), il y a tout un orchestre imaginaire qui vous entraîne, vous habite, vous porte. Cet amour du rythme a rempli la salle durant tout le récital. On ressent cette vibration, qui procura tant d’intensité à ce récital. Un peu comme si ce théâtre Edouard VII était trop petit pour l’énergie que vous dégagiez. Ce qui ne fait que confirmer la formidable sensation d’être privilégié, d’assister à une soirée d’exception en votre compagnie.

Vous citez les auteurs et les compositeurs qui vont ont accompagnée durant toutes ces années. Les plus récents comme les plus anciens. C’est important. C’est bien. C’est beau. Tout aussi beau est votre respect du public, qui se voit dans un simple détail : la douceur avec laquelle vous recueillez les fleurs que le public vous offre, la délicatesse avec laquelle vous les posez sur le piano, de manière à ce que toute la salle en profite. C’est un détail, soit, mais c’est un beau geste bienveillant.

Après tant d’années, vous sentir autant à fleur de peau m’a ému. On le perçoit souvent, ce quelque chose qui gronde. Mais ce soir, il y avait quelque chose d’inédit. Une brèche ouverte, une fêlure, à l’image de la grâce d’une Véronique Sanson face à son piano noir. Vous savez, dans ces moments où elle installe par magie un silence religieux pour nous livrer ses « Mortelles pensées » ou pour tirer sa « révérence ». 

C’est pourquoi, j’y reviens (j’insiste ? Lourdement ? Mais oui !) j’espère qu’à Pleyel, vous nous ferez entendre cette magnifique chanson que La Grande Sophie vous composa, « Du côté de ma peine » (ce serait dommage de passer à côté de ce bijou taillé sur mesure).

Chère Sylvie, ma très Chère Sylvie, ne me tenez pas rigueur des quelques (minuscules) bémols évoqués au début. On n’est exigeant qu’avec les personnes que l’on aime, après tout. Retenez simplement ceci : merci pour ce pari, réussi. Haut la main. Vous fûtes superbe. Une sublime héroïne wagnérienne. Forte et fragile. Merci pour votre sincérité. Merci pour votre passion. Et merci pour ces vingt-cinq années scéniques passées ensemble, vous dans la lumière, moi vous admirant. A deux pas de vous.

Ma chère Sylvie, merci ❤️